samedi 11 octobre 2008
Dans la cabine du messager
On les entend beaucoup et on les voit à peine. Les interprètes du World Forum sont indispensables à la bonne marche de l'événement. Rencontre avec Catherine Laurent, une femme de l'ombre passionnée par son métier.
"Parfois on termine les phrases avant l'orateur". Catherine Laurent fait partie des huit interprètes présents au World Forum de Lille. Dans les cabines qui surplombent l'auditorium du Nouveau Siècle, elle passe du français à l'anglais avec un naturel déconcertant. L'exercice demande une concentration intense: "on commence à traduire quand on commence à comprendre".
La principale difficulté: il ne faut jamais laisser de blancs. "On a des techniques si on perd les pédales: on sort des phrases de politiciens, d'étudiants de l'ENA". Ces petits trucs, c'est à l'ESIT (Ecole Supérieure d'Interprétariat et de Traduction) qu'elle les a appris. L'anglais est évidemment sa passion depuis toujours.
Mais cela ne suffit pas à faire un bon interprète. "Il faut développer des compétences ailleurs qu'en langues", insiste Catherine Laurent. "Ecouter et comprendre représente 90% du temps." Et comprendre, ce n'est pas seulement la langue, c'est aussi un jargon parfois obscur. Par exemple, quand elle doit traduire une conférence de droit maritime, avant d'enchaîner sur un colloque sur les maladies respiratoires porcines. Ou lorsqu'elle traduit les termes techniques de la dernière révision avant le lancement de la fusée Ariane à Kourou, un privilège qu'elle partage avec une dizaine de personnes en France.
Car l'interprétariat est un petit milieu, où règne ce que Catherine Laurent appelle une "solidarité de cabine". Les interprètes se retrouvent souvent à deux dans une cabine. "Au début on se vouvoie, puis dès qu'on commence à travailler on passe au tutoiement".
Catherine Laurent fait preuve d'une modestie à toute épreuve. "Je suis là pour rendre service, je n'ai pas d'égo". Elle confesse tout de même un motif de fierté: "j'ai fait pleurer le forum mondial des droits de l'homme à Nantes." Ce jour-là, Taslima Nasreen, écrivain bengladeshi, parle de sa condition de femme. De sa petite cabine, Catherine Laurent traduit tout. "Ils ont entendu Taslima Nasreen dans ma bouche. C'étaient les mêmes larmes en anglais et en français".
Parfois, le message est plus difficile à faire passer. "Il est très désagréable de traduire quelqu'un dont on ne partage pas les opinions." Il arrive à Catherine Laurent de refuser un travail si elle n'est pas d'accord avec les intervenants. "C'est un débat éthique dans la profession."
Être interprète, c'est être le vecteur de la pensée des autres, mais cela n'empêche pas d'avoir une opinion. Il faut simplement la garder pour soi. "Le plus beau compliment qu'on puisse me faire, explique Catherine Laurent dans un sourire, c'est presque de me dire qu'on ne m'a pas vue."
Angeline Demuynck et Anne-Julie Contenay
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